Como prometi a alguns leitores, deixo aqui um capítulo de Mozambique pour que ma mère se souvienne na tradução exemplar de Laure Collet. Reflexões da escritora e historiadora que sou sobre as memórias que a menina que fui guardou de uma vida quotidiana em tempos e cenários de guerra e paz. Quando rotinas, alegrias e perplexidades se cruzavam com a morte omnipresente, como se vivêssemos em vários patamares da realidade. As colunas militares que iam e vinham dos matos da guerra, as populações locais, nós - os que vinhamos da 'metrópole' - e as várias raças e etnias presentes na mesma paisagem soberba, inesquecível e, por vezes, quase irrespirável.
Porque é que as coisas se passavam assim?
Porque é que as coisas se passavam assim?
Chegada de tropas a Lourenço Marques, actual Maputo |
Jusqu’à quel point la mort conditionne notre
vie ? Jusqu’à quel point ce décor de guerre omniprésent dans nos jours et
nos nuits déterminait nos quotidiens ? Je n’ai pas la réponse. Mais je me
souviens encore qu’on voyait constamment passer dans les rues de Vila Cabral et
de Tete des véhicules militaires qui se mélangeaient tranquillement à la
circulation civile, car c’était de là-bas que partaient et revenaient
régulièrement des colones qui faisaient l’aller-retour entre la ville et
l’immensité de la forêt où les attaques de la guérilla étaient en pleine
recrudescence, un cauchemar dont personne n’entrevoyait la fin. Mais nous ne savions
que peu de choses de ces quotidiens brutaux, à moins que nos amis militaires ne
partagent avec nous ce qu’ils avaient vu de cet enfer, ce qu’ils ne faisaient
que très rarement.
Le Notícias
de Lourenço Marquês, le journal le plus lu au Mozambique, se pencherait plus en
profondeur sur ces questions, en donnant la parole aux soldats portugais. Jusqu’en
1967-68, le sujet était abordé de manière soit excessivement discrète soit exagérément
apologique. À grand renfort d’emphase, on décrivait les arrivées et les départs
des contingents militaires (à ou de la « Mère patrie ») et les
défilés dans les rues de Lourenço Marquês, avec leur point d’orgue en plein
centre-ville, sur la place Mouzinho de Albuquerque, où les « élégants,
droits, et valeureux soldats qui venaient d’arriver » affirmaient comme un
seul homme « épaule contre épaule, comme nous tous, que cette terre est en
vérité, aujourd’hui et pour toujours, la terre de Portugal ».[1]
Que personne ne se fasse d’illusion :
au-delà de la tournure excessive des phrases, une majorité écrasante d’entre
nous, dont je faisais partie, ressentait et pensait la même chose, que ce soit
avec ces mots ou n’importe quels autres. Nous suivions avec émotion et délice
les nouvelles sur les saisies d’armes de la guérilla, et la destruction d’une
de leurs bases ; la reddition « en masse » des populations
autochtones, qui se livraient à nos hommes, réclamant leur protection contre
les « bandits » ; et les désertions de noms qui sonnaient si
bien, comme Lazaro Kavandame,[2] parmi les chefs traditionnels makondes les plus éminents, et plus tard
Urias Simango,[3] successeur direct d’Eduardo Mondlane, qui s’était éloigné du
triumvirat de la Frelimo, qui comptait également Marcelino dos Santos et Samora
Machel, déclarant ouvertement sa dissidence avec les deux hommes ; ou
encore sur les guérilleros auréolés de gloire, qui venaient se rendre aux
autorités portugaises, en racontant des histoires sur le « sectarisme, le
tribalisme, et le régionalisme » de la Frelimo ; les purges internes
du mouvement ; les prisons regroupées en Tanzanie ; et les
inombrables pertes humaines, comme celle de Sivério Nungu, dont certains, comme
Simango, affirmaient qu’il avait en fait été assassiné. Et tant d’autres
encore, jamais reconnues.
Et à côté de ces reportages et de ces
entretiens de première page, il y avait les nouvelles extrêmement discrètes,
concernant les décès quotidiens, au combat et au service de la patrie, dans un
petit encart sans photo, où l’on ne trouvait pratiquement que le nom de ces
héros inconnus, qui ne reverraient donc jamais leurs terres métropolitaines
« de l’autre côté de l’océan ».
La guerre se jouait sur trois fronts, et la
Frelimo dominait les régions de Cabo Delgado, Niassa, et Tete, lorsque
Guilherme de Melo, écrivain primé, poète, journaliste, et secrétaire général du
Notícias, a été envoyé sur le terrain,
dans les zones de conflit. Ses reportages, illustrés par les images du
magnifique photographe Carlos Alberto Viera, ont été quotidiennement publiés
entre avril et mai 1968, sous le titre générique de « Ao Norte – Guerra e
Paz ».[4]
Cette initiative s’est avérée être un succès, et le journal a dû augmenter ses
tirages. En fin de compte, et autant que la guerre le permettait, la population
qui avait accès à la presse était désormais confrontée aux retables de la vie
de l’armée portugaise dans la solitude insomniaque des forêts imprenables.
Avec les mots de ce journaliste, peut-être
arrivions-nous à sous-entendre des critiques voilées à l’encontre des
développements de cette guerre qui faisait rage depuis quatre ans déjà. Mais
ceux que le journaliste censurait ouvertement, c’était surtout les stratèges de
café qui, dans le confort douillet des villes et de leurs oisives conversations
de fin d’après-midi, formulaient des analyses méprisantes sur l’inefficacité
des soldats, soutenant que la guerre aurait du mal à continuer sur une si bonne
lancée même avec des « terroristes » si « stupides » et
« mal préparés » puisque nos troupes ne faisaient rien, s’occupant
seulement de faire passer leurs heures de service dans les meilleures
conditions et le plus rapidement possible, afin d’avoir la chance de
« retrouver leur terre natale».
Guilherme de Melo leur répondait en décrivant
les battues dans la forêt, entre pistes et fourrés, bourbiers et nuages de
poussière, au gré d’une pluie qui tombait sans répit, ou d’un sol qui brûlait
sans trêve, au fur et à mesure que ces hommes retiraient les mines, défaisaient
les pièges, et subissaient des attaques. Il nous a parlé de groupes de
fusiliers, de commandos, de chasseurs, et de parachutistes, qui arpentaient la
forêt lors d’opérations de cinq, dix, douze, ou quinze jours, au cours desquels
ils ne se nourrissaient que de rations de combat, de pain dur comme de la
pierre, et ne buvaient que l’eau des flaques et de petites rivières ou
s’abreuvaient, dans un délire assoiffé, directement dans les bourbiers. Le
journaliste et le photographe nous ont fait vivre des nuits entre les herbes hautes
ou les herbes sèches, avec le sol pour plancher et le ciel pour toit, dans un
repos toujours bref et agité, interrompu dès le lever du jour, qu’ils
occupaient inlassablement à l’ouverture de pistes, la construction de pont, ou
le démantèlement de bases.
Luís Guimarães (esquerda) e Anselmo Oliveira em Cabo Delgado |
Comme des coups de poing, les mots du journaliste
ont toumenté l’indolente placidité tropicale des villes et éveillé une
conscience tardive, mais évidemment diffuse et partielle concernant le revers
de la médaille, soulevant la pointe du voile sur ce qui se passait en réalité, et
saupoudrant toutefois son texte d’un optimisme et d’une conviction inébranlable
en une victoire finale, à laquelle Guilhermo de Melo lui-même avouerait plus
tard avoir été très loin de souscrire.[5]
La conscience collective a finalement accepté
de prendre en compte ce « sacrifice tremblant » que l’on exigeait des
« valeureux » soldats qui versaient leur sang « pour la
patrie » et qui étaient encore à cette époque passablement méprisés,
notamment par les citadins. Mais l’optimisme était général. En 1968, une simple
chaise avait réalisé l’inimaginable : mettre à terre un dictateur, dans
une chute lourde de conséquences, puisque Salazar avait laissé sa place à
Marcello Caetano, ce qui présageait du printemps du régime, même si le Vieux s’accrochait fermement à la vie,
ce dont nous étions tenus au courant par les bulletins de santé publiés chaque
jour en première page des journaux. Comme si « l’amélioration de son état
de santé » ou les « degrés de sa température », ses battements
cardiaques, ou sa tension artérielle intéressaient véritablement quelqu’un, on
nous les détaillait avec la plus grande minutie, jour après jour. Je ne me
souviens pas, d’ailleurs, d’une quelconque émotion face à la possibilité de la
mort de Salazar. Mais je me souviens qu’entre de petits rires discrets, on
pouvait entendre des commentaires du genre : « il est tellement
mauvais que même la mort n’en veut pas », ainsi qu’une pluie diluvienne
d’anecdotes sur ses prochaines rencontres dans l’au-delà.
De manière générale, nous avions tous envie de
changement. Duquel ? Marcello Caetano le résumait dans un slogan exemplaire :
le « changement dans la continuité » ; ce qui dans le cas des
provinces d’outremer annonçait finalement une diminution de l’intervention de
la métropole, chose que la pression internationale sur le Portugal exigeait
depuis des années, ainsi que l’engagement en conséquence pour la création de
cadres locaux auxquels le pouvoir pourrait être remis, « sans tomber entre
les mains d’extrémistes » (Blancs ségrégationnistes ou porte-paroles de
mouvements subversifs dont l’objectif était d’expulser les populations blanches
d’Afrique). En outre, le nouveau chef du gouvernement promettait le maintien
des territoires d’outre-mer, et donc la continuation de la guerre en Afrique,
puisque la patrie était et resterait, un corps élargi, agrandi qui d’Europe
s’étendait du Minho jusqu’au Timor, obligeant les Portugais à sa
préservation ; et c’était bien le désir d’une majorité d’entre nous. On
n’imaginait même pas qu’une formidable onde de choc se rapprochait de notre tranquille
existence à vitesse grand V, pour changer l’axe de ce monde de manière si
radicale qu’il ne serait plus jamais le même.
Guinée, Angola, Mozambique, Portugal :
nous étions « un seul peuple », nous formions « une seule nation
avec un gouvernement unique ». On a rapidement commencé à introduire des
changements dans le régime des colonies, que l’on désignait par
« provinces d’outremer »[6] depuis 1946, dans un effort de consolidation
de l’argument idéologique et national selon lequel tous ces territoires
formaient le corps indissoluble de la nation. Mais ce n’est qu’à partir de 1967
ou 1968 que les entraves à l’arrivée des colons ont été rapidement
levées ; l’opération a même été encouragé par tous les moyens, avec des
mesures élaborées par des théoriciens dans de lointains cabinets, qui ne
connaissaient pas le terrain, qui n’avaient pas la moindre idée des moyens
humains nécessaires, et qui ne disposaient pas non plus de la vision politique
adéquate face à ce genre de conditions. Finalement, on admettait qu’il fallait
que l’on «fonctionne vite et mieux », comme le Secrétaire d’État à
l’Industrie l’affirmait, soutenant enfin le besoin urgent d’une réforme
administrative de fond.
C’est ainsi que le Terreiro do Paço de
Lisbonne a pris conscience d’une évidence flagrante : «le peuplement
est le plus grand ennemi du terrorisme ». On a alors commencé à établir de
petits groupes de colons qui croissaient jour après jour, dans l’immensité
désertée du Nord, dans les districts du Niassa et de Cabo Delgado ; sous
le slogan de Salazar « l’épée à la main, la serpe dans l’autre », les
soldats démobilisés ont été les premiers à arriver : le gouvernement leur
offrait des terres agricoles, du bétail, de petites parcelles de terrain, et
prenait même à sa charge le voyage des membres directs de leur famille, femme
et enfants, pour qu’ils soient réunis dans leur nouveau chez eux. Mais cette
installation était très, très difficile, même pour ceux qui échappaient ainsi à
une vie économiquement très rude sur le territoire métropolitain, ne serait-ce que
sous la pression de la guérilla.
L’initiative avait été mise en route en 1963,
avec la création d’un nouveau noyau de population, Nova Madeira, dans le
triangle agricole du plateau du Niassa, où à partir de 1969 on a commencé à
planifier l’implantation de mille familles sur les six années à venir. Et des
dizaines, des centaines de milliers de nouveaux colons pour Tete, Manica, et
Sofala, dans le district de Cabo Delgado, dans une occupation qui donnerait
lieu en conséquence au développement économique du territoire, sous la tutelle
de la Junta Provincial de Povoamento, récemment créée. Comme si nous avions
encore tout ce temps devant nous. Ce projet n’atteindrait jamais, même pas de
loin, les résultats escomptés.
Le Dr. Baltazar Rebelo de Sousa était le
nouveau gouverneur général du Mozambique depuis1968 ; il avait traversé le
pays de pare en pare, à grand renfort de manifestations populaires en chemin,
et avait déclaré à la fin de son périple que, partout, il avait retrouvé
« la marque lusitanienne, imprégnée de paix, de tolérance, et
d’amour ». À cette époque-là, nous attendions également avec beaucoup
d’impatience la visite de Marcello Caetano en Angola et au Mozambique, pour
renforcer tous ces liens, dans l’espoir également que le poids de la tutelle métropolitaine
se réduise passablement, permettant ainsi le développement de la province,
toujours si ceinturé et conditionné par les intérêts de Lisbonne.
Mais nous
étions en train de gagner. Car n’était-il pas vrai que les populations soumises
par la force des katanas et des armes russes, chinoises, et tchèques
soutenaient de plus en plus à contrecœur les turras ? Et n’était-il pas vrai que ces derniers perdaient du
terrain, chaque jour, partout au Mozambique ? Et n’était-il pas vrai que
l’Afrique du Sud et la Rhodésie nous soutenaient et nous ont soutenu jusqu’au
dernier moment, parce que toute la géopolitique du continent et la propre
survie de leurs régimes dépendaient de notre
présence ? Même les nouveaux présidents noirs des nouveaux pays africains
étaient nos amis et nos alliés ! Et n’était-il pas vrai que les
populations n’étaient séduites que par la force ou la tromperie, ou carrément
contraintes à soutenir la guérilla ? Et que la Frelimo écrasait toute
forme d’opposition de manière si dure que ses anciens partisans revenaient au
Mozambique pour chercher refuge sous le drapeau colonial ? Et n’était-il
pas vrai que le Mozambique était une mosaïque de peuples et de tribus
constamment en guerre les uns avec les autres, qui n’avaient connu la paix que
grâce à la présence portugaise ?
Nous y croyions dur comme fer. Et il y avait
évidemment dans ces chimères un fond de vérité, des lacs de mensonges, et une
bonne dose de désinformation.
La vie suivait son cours. Autant que je m’en
souvienne, le plus grand scandale à avoir occupé notre imaginaire à la fin de
l’année 1968, c’est l’annonce du mariage de Jacqueline, 39 ans, veuve du
mythique président John F. Kennedy, assassiné à Dallas six ans plus tôt, avec
un horrible « vieux », mais carrément riche, Onassis, qui avait
conquis, entre autres, le cœur de la diva Maria Callas. Un sujet dont nous
avons discuté sous tous les angles possibles. Mais comment une femme si belle,
si jeune, et si chic, qui avait été l’épouse d’un président de conte de fées
pouvait se livrer aux mains, aux bras de ce satyre grec ?»
[1] Notícias, Lourenço Marquês, 26/01/1968,
p. 1.
[2] La bibliographie à ce sujet, et sous
différents angles, est très vaste. Ce n’est pas ici l’endroit idéal pour tout
exploiter, mais je mentionne, par exemple, « Lazaro Kavandame abandona a
Frelimo≫, Notícias, 4/04/1969, Lourenço Marquês,
p. 1 ; et en contrepoint, l’interview par Olívia Massango de Sérgio Vieira :
« O grupo de Kavandame nao queria o II Congresso no interior de
Mocambique », O País, 24/04/2012, http://opais.sapo.mz/index.php/entrevistas/76-entrevistas/19981-o-grupo-de-kavandame-nao-queria-o-ii-congresso-no-interior-de-mocambique.html (consulté le 20/01/2014).
[3] Notícias, Lourenço Marquês,
1/01/1970, pp. 1-4 ; “Grande entrevistacom neto de Lazaro Kavandame” sur Canal
de Moçambique, http://macua.blogs.com/files/cmc_n178_netokavandame.pdf
(consulté le 20/01/2014).
[4] « Au Nord – Guerre et Paix » (N.d.T.).
[5] Guilherme de Melo,
“Por quem as cruzes alvejam...”, Notícias, Lourenço Marquês, 26/05/1968,
pp. 1-4.
[6] Dénomination créée en Inde portugaise,
correspondant à un très léger changement dans le régime de tutelle pour
empêcher l’intégration de Goa, Daman, et Diu dans l’Union indienne, que
Jawaharlal Nehru réclamait depuis l’indépendance.
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